Bloodborne (FromSoftware, 2015) : Un chasseur sachant chasser...

Développeur : FromSoftware
Origine : Japon
Éditeur : Sony Computer Entertainment
Date de sortie : 2015

Genre : Action RPG
PEGI : 16
Plate-forme : PS4


Chroniqueur : Corentin
Note : Du sang et des larmes/20



Vous êtes mort


Voilà ce qui s'affichera le plus souvent sur votre écran lorsque vous jouerez à Bloodborne. Dans ce jeu, il faut accepter la défaite, accepter la mort, accepter de recommencer la même carte, le même boss, la même embuscade, encore et encore ! Alors bien sûr, si vous voulez passer du bon temps et jouer chill, bien posé au fond de votre canap', eh bien changez de jeu. Votre manière de jouer et vos nerfs seront mis à rude épreuve.

Le jeu nous a été apporté par le studio japonais FromSoftware, qui est aussi le papa des Dark Souls et de Demon's Souls. Il est ainsi assez facile de dire que le studio nippon a totalement chamboulé les manières de jouer et d'envisager la difficulté depuis Dark Souls premier du nom. Ici, vous ne choisissez pas de jouer en mode facile ou en mode hardcore. Non, pas de choix de difficulté, nous sommes tous égaux face à la mort !


Vous êtes mort.

La persévérance que demandent ces jeux ne plaît évidemment pas à tous et a dû rebuter une bonne partie des joueurs. Il faut accepter d'apprendre les cartes par cœur et d'étudier chaque monstre pour comprendre ses attaques afin d’éviter de mourir une nouvelle fois. Et quand vous arriverez face à un boss qui vous poutrera d'un revers de patte, vous vous sentirez obligé de refaire, encore et encore, toute la zone du jeu pour aller gagner de l'expérience et des objets... Mais là encore, c'est plus simple à dire qu'à faire car le moindre pécore que vous croiserez peut vous transformer en un tas de chair sans vie et vous faire perdre votre expérience emmagasinée !

Alors pourquoi ?, me demanderez-vous. Pourquoi se casser le cul sur un jeu qui hait autant le joueur ??? Eh bien, tout d'abord, pour la satisfaction unique que vous ressentirez en voyant défiler le générique de fin pendant lequel il est autorisé de hurler : "MAIS TIENS ESPÈCE D’ENCULÉ ! J'T'AI FINI, KESKYA MAINTENANT ?". Mais aussi et surtout pour tout le reste parce que, oui, ce jeu est quand même une œuvre vidéo-ludique à part entière, une pure création à la fois cauchemardesque et merveilleuse.

Vous vous réveillez attaché à un lit dans lequel un homme étrange vous force à faire une perfusion puis vous quitte. Alors le cauchemar commence : un loup-garou de chair s’approche de vous, toujours attaché, monte sur le lit, puis s'embrase soudainement. La cinématique est courte et vous n'avez pas le moindre indice sur ce qui est en train de se passer ni sur ce que vous faîtes là. Vous prenez alors les commandes à ce moment-là et descendez une volée de marches dans ce qui semble être un vieux laboratoire de style victorien désaffecté.


En bas, un loup-garou vous attend de pied ferme. Vous n'avez pas encore d'arme efficace pour vous défendre. Alors, si c'est votre première rencontre avec Bloodborne, n’espérez pas le vaincre. Et voilà, à peine deux minutes de jeu et Vous êtes mort. Ça y est, vous comprenez où vous mettez les pieds; le jeu n'est pas là pour vous ménager !

Vous réapparaissez alors dans ce qu'on vous présente comme étant le rêve du chasseur, lieu hors du temps et de l'espace qui flotte paisiblement au-dessus des nuages. Ici tout est calme : des herbes folles bruissent au vent et, au sommet de ce rêve trône une vieille maison de bois qui domine le jardin. Ce sera ici que vous réapparaîtrez après chaque mort.

Alors vous commencerez à vous poser la question : "Mais... Qu'est-ce que de pourquoi... Hein ?". Eh oui, dans ce jeu, le scénario est loin d’être linéaire. L'industrie vidéo-ludique avait fait prendre l'habitude au joueur de suivre une histoire et un scénario ficelés, détaillés et expliqués, même si l'on pouvait déjà compter sur quelques jeux qui s'en démarquaient et qui, souvent, d'une manière assez poétique, envoyaient des morceaux d'histoire aussi fluets que la brise du vent, comme c'est par exemple le cas de Shadow Of The Colossus (Je te hais, Jeu).

Ici, FromSoftware va encore plus loin. Votre personnage est perdu, alors vous aussi. Et, entouré par des hordes de monstres, qui pourra prendre le temps de vous dire ce qu'il se passe ? Personne ! Et c'est là que réside la force de cette narration : vous êtes aussi paumé que votre personnage. Alors vous avancez, maniant votre épée sacrée au travers des corps ennemis, mais vous ne pouvez vous empêcher de vous poser des questions. Qui sont les vrais monstres ? Dans quel camp est mon personnage ? Mes actes sont-ils justes ? Est-ce que mon avatar n'a pas simplement perdu la raison ? Les seules réponses que vous obtiendrez seront celles que vous choisirez vous-même.


Mais vous n'êtes pas mort, espèce de con ?

Cependant, il ne faut pas prendre cette histoire difficile d'accès pour une paresse des scénaristes. En effet, si vous voulez savoir ce qu'il se passe, des éléments de réponses sont cachés un peu partout dans le jeu. Néanmoins, il ne vous suffira pas de traverser les rues de Yharnam pour les trouver, non, vous allez devoir jouer à l'archéologue, ramasser chaque objet, observer les décors, lire les descriptions des armes, raccrocher les wagons avec ce que vous disent les PNJ et vous aventurer dans les donjons Pthumériens. Or, si le jeu est déjà difficile en lui-même, il sera encore plus compliqué d'aller chercher chaque petit objet qui vous racontera une histoire.

Mais si cette partie du jeu vous lasse et que tout ce qui vous intéresse, c'est de poutrer du gros monstre, ne vous en faîtes pas, le jeu ne vous laisse pas non plus dans une obscurité totale et vous "comprendrez" alors les enjeux les plus importants de l'histoire.

Il s'agit donc d'une ville dont les habitants sont en proie à la démence et à des changements physiques que l'on pourrait qualifier de parfaitement dégueulasses. Vous êtes un chasseur et votre rôle consiste à stopper ce chaos et à en découvrir la cause pour l'exterminer. Quant aux origines de la maladie qui ronge la ville, elles sont à chercher chez les scientifiques et les archéologues qui avaient découvert les restes de civilisations anciennes bien plus résistantes que les hommes. Alors ont commencé des thérapies à base de sang d'ancien et, spoiler, ça a mal tourné. Ont suivi des schismes dans l’église et dans les hautes sphères scientifiques de Yharnam. Toujours est-il que, du coup, c'est la merde. Il faut également rajouter la présence d’êtres cosmiques, considérés comme des dieux (mais en sont-ils vraiment ?), qui ne peuvent pas enfanter, à part s'ils arrivent à féconder un humain. Il ne tiendra donc qu'à vous de vous faire un classement des gentils et des méchants. Mais, bien souvent, la plupart des créatures se trouveront entre les deux, d'une habile manière.


Souriez, vous êtes observé !

On retrouve ici tous les thèmes principaux présents dans l’œuvre de H. P. Lovecraft : l'indicible horreur cosmique, les civilisations anciennes, la recherche du savoir qui pousse à la folie, l'hubris et le vertige existentialiste. Le jeu ne s'en cache pas, il assume ce lien de parenté avec l'enfant de providence en glissant ça et là des indices, des clins d’œil. Si Lovecraft se complaît dans le fantastique, tandis que Bloodborne plonge bien plus dans un trip dark fantasy, le jeu semble pourtant être la meilleure adaptation du monstre sacré de l'horreur, même si elle n'en est pas une (Rappelons que les adaptations officielles en jeu vidéo de l’œuvre de Lovecraft souffrent d'un gameplay peu séduisant.).

Le jeu, bien que sorti en 2015, reste un réel plaisir pour les yeux. Si certains mouvements demeurent un peu rigides et que l'on trouve ça et là quelques bugs de texture, le design des environnements est tout simplement époustouflant. La ville de Yharnam, savant mélange de gothique médiéval, d'architecture d’Europe de l'Est et de révolution industrielle, est aussi sublime que terrifiante. Vous pourrez même, à un moment du jeu, trouver une longue-vue qui n'a pas d'autres utilités que de vous complaire de nombreuses secondes à inspecter les environnements et de vous régaler les yeux.

Les créatures et les différents boss sont créés avec le même souci du détail, ce qui donne à l'univers du jeu une cohérence et une tangibilité qui vous feront vous sentir à la place de votre chasseur.


Le Vieux Yharnam, un endroit qui vous donnera des sueurs froides !

Car c'est de cela aussi qu'il est question, l'identification : arriver à ressentir ce que ressent son personnage, se mettre à sa place et penser ses pensées. La complexité à accéder à l'histoire complète, ajoutée à la difficulté de se repérer dans les niveaux (car il va sans dire qu'il n'y a aucune carte ni aucun marqueur d'objectif), vous pousse à ressentir un grand sentiment d'égarement, sans aucun doute partagé par votre pauvre chasseur.

Et il m'est impossible de parler de ce jeu sans en évoquer la fin. Alors, si vous souhaitez garder un peu de mystère, n'avancez plus ! Vous voilà donc de retour dans le rêve du chasseur. Mais quelque chose a changé, l'atmosphère y est sinistre et, là-haut, sur la colline, votre maison est en feu. Vous cherchez des réponses et allez discuter avec la poupée animée, qui est ici depuis le début et qui est sans doute votre seule véritable alliée. Elle vous apprend alors que Gehrman, le premier chasseur, le fondateur de la lignée des chasseurs, vous attend plus loin dans le rêve du chasseur.

Gehrman, vous l'avez déjà croisé quelques fois : un vieil homme en fauteuil roulant, énigmatique, qui vous a révélé quelques bribes de l'histoire et le pourquoi de ces monstres. Vous allez donc à sa rencontre. Il vous explique que la chasse est terminée, que vous avez vaincu la cause du mal qui rongeait Yharnam. Il vous dit qu'il est temps de reprendre votre vie et de quitter cet affreux rêve du chasseur, qui ne va pas sans son alter ego, le cauchemar que sont devenus Yharnam et ses environs. Mais, pour quitter le rêve, vous allez devoir mourir, une dernière fois. De sa main.


Gehrman les bons couteaux.

Là se pose un choix crucial. Allez-vous accepter ? Allez-vous laisser cet homme vous tuer, et ainsi espérer qu'il dise la vérité ? Après tout, que connaissez-vous de lui ? N'est-il pas lui-même à la solde des créatures qui ont créé ce chaos ? Ici, votre harmonie d'esprit avec votre chasseur est cruciale. Prendre le risque de mourir ? Ou alors combattre Gehrman, pour l'honneur ?... et... et aussi pour ne pas finir comme ça, tristement, après être mort autant de fois, après avoir combattu d'horribles créatures, plus fortes les unes que les autres, avoir lutté pour devenir plus fort. Peut-on accepter la mort après un tel voyage ?

Alors germent dans l'esprit les graines de la chasse. On veut voir ce que vaut ce premier chasseur, cette légende. Que vaut-on face à lui ? Peut-être qu'il peut en effet nous libérer, mais... mais on a envie de continuer la chasse. On est devenu un monstre, une bête avide de sang et de violence. Vous êtes devenu ce que vous redoutiez tant au début du jeu. Voilà, ici, le choix moral n'est finalement pas anodin. Il ne s'agit pas uniquement de terminer le jeu; il s'agit aussi de terminer un voyage initiatique dans les flammes de l'enfer. Car ce n'est pas dans les combats que vous apprendrez si vous êtes plus fort que la faune terrifiante de ce jeu, mais bien en acceptant ou en déclinant l'offre de Gehrman à la toute fin du jeu.

Eh oui, dans Bloodborne, un chasseur sachant chasser doit savoir quand s’arrêter de chasser...


Qui va à la chasse perd son sang...

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